Si un
chien rencontre un chat – par hasard, ou tout simplement par probabilité, parce
qu’il a tant de chiens et de chats sur un même territoire qu’ils ne peuvent pas
à la fin ne pas se croiser - ; si deux hommes, deux espèces contraires,
sans histoire commune, sans langage familier, se trouvent par facilité face à
face – non pas dans la foule ni en pleine lumière, car la foule et la lumière
dissimulent les visages et les natures, mais sur un terrain neutre et désert, plat,
silencieux, où l’on se voit de loin, où l’on s’entend marcher, un lieu qui
interdit l’indifférence ou
le
détour, ou la fuite - ; lorsqu’ils s’arrêtent l’un en face de l’autre, il
n’existe rien entre eux que de l’hostilité, qui n’est pas un sentiment, mais un
acte, un acte d’ennemis, un acte de guerre sans motif.
Les vrais
ennemis le sont de nature, et ils se reconnaissent comme les bêtes se
reconnaissent à l’odeur. Il n’y a pas de raison à ce que le chat hérisse le
poil et crache devant un chien inconnu, ni à ce que le chien montre les dents
et grogne. Si c’était de la haine, il faudrait qu’il y ait eu quelque chose
avant, la trahison de l’un, la perfidie de l’autre, un sale coup quelque
part ; mais il n’y a pas de passé commun entre les chiens et les chats,
pas de sale coup, pas de souvenir, rien que du désert et du froid. On peut être
irréconciliables sans qu’il y ait eu de brouille ; on peut tuer sans
raison ; l’hostilité est déraisonnable.
Le
premier acte de l’hostilité, juste avant le coup, c’est la diplomatie qui est
le commerce du temps. Elle joue l’amour en l’absence de l’amour, le désir par
répulsion. Mais c’est comme une forêt en flammes traversée par une rivière ;
l’eau et le feu se lèchent mais l’eau est condamnée à noyer le feu, et le feu
forcé de volatiliser l’eau. L’échange des mots ne sert qu’à gagner du temps
avant l’échange des coups, parce que personne n’aime recevoir des coups et tout
le monde aime gagner du temps.
Selon la
raison il est des espèces qui ne devraient jamais, dans la solitude, se trouver
face à face. Mais notre territoire est trop petit, les hommes trop nombreux,
les incompatibilités trop fréquentes, les heures et les lieux obscurs et
déserts trop innombrables pour qu’il y ait encore de la place pour la raison.
http://www.theatre-video.net/video/Si-un-chien-rencontre-un-chat-extraits-video
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