Les
plages de nos pensées sont parfois désertes, encombrées de lichen et de bois
africain, et le ressac, l’écume de nos caresses,
de
nos instants d’intimité et de prière commune, de nos gestes enchaînés.
Un
très beau texte en hommage à Bernard Marie Koltès.
Nous
vous l’offrons bien volontiers.
« Si
un chien rencontre un chat, par hasard, ou tout simplement par probabilité
parce qu’il y a tant de chiens et de chats sur un même territoire qu’ils ne
peuvent pas, à la fin, ne pas se croiser ; si deux hommes, deux espèces
contraires, sans histoire commune, sans langage familier, se trouvent par
fatalité face à face- non pas dans la foule ni en pleine lumière, car la foule
et la lumière dissimulent les visages et les natures, mais sur un terrain
neutre et désert, plat, silencieux, où l’on se voit de loin, où l’on s’entend
marcher, un lieu qui interdit l’indifférence, ou le détour, ou la fuite ;
lorsqu’ils s’arrêtent l’un en face de l’autre, il n’existe rien d’autre entre
eux que de l’hostilité, qui n’est pas un sentiment, mais un acte, un acte
d’ennemis, un acte de guerre sans motif.
Les
vrais ennemis le sont de nature, et ils se reconnaissent comme les bêtes se
reconnaissent à l’odeur. Il n’y a pas de raison à ce que le chat hérisse le
poil et crache devant un chien inconnu ni à ce que le chien montre les dents et
grogne. Si c’était de la haine, il faudrait qu’il y ait eu quelque chose avant,
la trahison de l’un, la perfidie de l’autre, un sale coup quelque part ;
mais il n’y a pas de passé commun entre les chiens et les chats, pas de sale
coup, pas de souvenir, rien que du désert et du froid. On peut être
irréconciliable sans qu’il y ait eu de brouille, on peut tuer sans
raison ; l’hostilité est déraisonnable.
Le premier acte de l’hostilité, juste avant le coup,
c’est la diplomatie qui est le commerce du temps. Elle joue l’amour en
l’absence d’amour, le désir par répulsion. Mais c’est comme une forêt en
flammes traversée par une rivière, l’eau et le feu se lèchent, mais l’eau est
condamnée à noyer le feu et le feu forcé de volatiliser l’eau. L’échange des mots ne sert qu’à gagner du
temps avant l’échange des coups parce que personne n’aime recevoir des coups et
tout le monde aime gagner du temps.
Selon la raison, il est des espèces qui ne devraient
jamais, dans la solitude, se trouver face à face. Mais notre territoire est
trop petit, les hommes trop nombreux, les incompatibilités trop fréquentes, les
heures et les lieux obscurs et déserts trop innombrables pour qu’il y ait
encore de la place pour la raison."
Festival AVIGNON 2001
©pour Aline Hernandez
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