samedi 21 juillet 2012

RUE BONAPARTE

Il m'a dit bonjour. Il m'a dit viens-tu?
 .
Rue Bonaparte.
Je n'ai pas su lui dire bonjour.
Les premiers jours du printemps 1960. Elle descendait vers la Seine. Le Quai Malaquais, l'Institut, le Pont des Arts.
Le premier soleil inondait le trottoir.
Un balancement des hanches. Je n'ai pas su lui dire bonjour.
Simplement les yeux baissés. Un regard furtif. Le cramoisi d'un léger pull de soie fine et le doux balancement de ses deux seins. J'imaginai la perfection et le glissement de l'albâtre.
La démarche et le port d'une reine mystérieuse, les jambes caressant le sol, les fines attaches en forme de pattes d'oiseau; des pigeons parisiens se posant sur les balcons, maculant les véhicules stationnés d'une fiente blanchâtre et crémeuse, enfin au repos sur l'épaule d'un vieillard tremblotant prenant soin de leur distribuer des graines de millet rond.
Elle semble danser sur l'asphalte, valse hésitation; les antiquaires et les marchands de livres anciens viennent d'ouvrir leur boutique.
Une échoppe avenante. Son domaine. Un geste doux et elle pénètre sa main, caresse le vieux cuir. Ses doigts glissent entre les pages, le long des lieux sensibles, et mettent en émoi la chair riche et palpitante, celle du livre qui s'ouvre, elle peut lire quelques phrases, un corps gravé apparaît.
Mon regard plonge dans la vitrine, se faufile entre les ouvrages couverts de poussière, pour enfin apercevoir l'œuvre convoitée.
Un livre épais aux pages d'une consistance un peu rigide, peut-être ce qu'on nomme un incunable, ouvrage ancien.
Elle est belle et rend encore plus belle la tenancière de ce lieu de culture et de savoir, vieille dame respectable au visage outrageusement maquillé.
Je la suivit ainsi tout au long de la journée.
Elle savait que j'étais là, un peu distant. Je n'en finissais pas d'admirer son mouvement lent du bassin. Nous allâmes dans cette douce chaleur voluptueuse jusqu'au jardin des Tuileries.
Puis les contre-allées des Champs Élysées.
Elle se reposa sur un fauteuil de fer forgé, son regard se perdait dans le feuillage naissant.
Elle tourna lentement son visage et je crus apercevoir un sourire lointain, une invite à se perdre dans les songes d'une sexualité maladroite, encore hésitante et troublée.


©Christian Cazals






Rue Bonaparte



(photo exécutée et retouchée depuis un cliché d'un photographe de la rue. Anonyme)





3 commentaires:

  1. Un texte d'une sensuelle sensibilité...Merci

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    1. Ce furent les prémices d'un parcours amoureux. Une rue se dirigeant vers la Seine, les grands jardins des Tuileries. Enfin le calme après l'agitation parisienne d'une année trépidante. Des mains qui s'étreignent...

      C/C

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  2. oui, ce début de récit laissé en suspens est vraiment très évocateur , très visuel , et je me plais à imaginer cette esquisse de rencontre avec la belle et troublante C., mais peut-être était-ce une autre passante de ta vie amoureuse???? le mystère sied à cette écriture d'été..

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