©agnès BalaŸ
LA FLEUR ROUGE
Prologue.
Ce que je
voudrais dans cette explosion de joie, fragmentation des jours tristes qui
s’éloignent, hurlement des animaux sauvages broyant mes os, souillant mes
organes de la vie, de la vie qui file à la façon de la ligne du pêcheur
brutalement tendu par l’espadon, ce que je voudrais dans les tremblements de
mon corps, ce que je voudrais apprendre des larmes qui subitement coulent le
long de mes joues, déposant leur sel sur mes lèvres fissurées par le gel, ce
que je voudrais… pourquoi la solitude, la marche insensée dans ce désert de
mots, les mots qui sortent de ma bouche, se répandent sur le sable gris de mon
espérance, espoir de fuite en avant, vers le soleil ou les astres lumineux
perdus dans ce lointain désir que j’ai de purifier, de clarifier, d’ordonner,
d’exciser pour découvrir l’intérieur de mes rêves, exciser le pistil d’une fleur,
puis sucer la liqueur ambrée qui s’épanche et la boire indéfiniment, m’en gaver
et la laisser agir lentement, longues années d’attente fébrile, longues années
de prison, odeur des murs moisis, souvenirs de ces odeurs qui reviennent
régulièrement aux heures du soir, heures d’inquiétude quand le jardin
s’assombrit, quand la lune grimpe le long du mur, le mur couvert de lierre, là
bas, après le bâtiment qui gémit la respiration lente des corps qui souffrent.
Un chien me garde, servile, créature aux dents jaunes, déchaussées, qui sentent
fort quand il s’approche pour m’observer par le judas, le regard et l’odeur
forte…. LA CHAROGNE.
*
Les faits
Séquence 1. Intérieur nuit
train.
Dans ce train début du siècle,
compartiment tendu de tissu rouge élimé, taché, plongé dans une demi-pénombre.
Une lampe est suspendue sur le mur latéral.
Assis sur la banquette du
compartiment un homme retenu par une camisole de force se tient très droit, le
regard fixe, lointain. Il est encadré par deux infirmiers en blouse visiblement
très fatigués, les yeux mi-clos.
L’homme : S’il vous plaît, mon
secrétariat est-il averti de notre arrivé ?
L’infirmier
(las) : Oui
Oui.
Séquence 2 : Intérieur petit matin. Asile
Une pierre au sol porte une
inscription souhaitant la bienvenue aux arrivants.
On découvre un vaste hall
d’entrée, très long, éclairé par des hautes fenêtres armées de barreaux qui
donnent à ce lieu une ambiance carcérale.
Des pas résonnent sur le sol
dallé de pierres.
Au fond de la salle une grande
table de bois, derrière laquelle est assis un personnage imposant occupé à des
écritures.
Voix off de
l’homme en camisole. (forte et autoritaire)
Au nom de sa majesté impériale
je déclare qu’il faut procéder à l’inspection de cette maison de « fous » !
Surpris le secrétaire lève les
yeux et le fixe intensément.
Séquence 3 : Intérieur petit jour, chambre du « fou » ;
Au plafond large tache
d’humidité. Le visage du fou sort de son sommeil. La tache fait apparaître des
visages étranges, cris off, ricanements, pleurs, tous ces bruits viennent de
l’étage.
L’effroi se lit sur son
visage, les visages l’observent avec ironie.
Le fou est assis sur sa
paillassse et son regard fixe avec intensité la tache du plafond et les
encoignures des murs.
Il y a de la moisissure et par
endroit une fleur, rouge, semblable à un coquelicot.
La porte attire son regard,
surtout le judas.