L'Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz, Samir Ardjoum
L'affiche  du film est claire : un soldat de l'armée française, cache sa tristesse  sous le drapeau national. Il est en deuil, tout comme le cinéma de  Kassovitz, qui revient à la charge ! L'Ordre et la morale est  un film coup-de-poing, un film de genre, un cinéma politisé qui,  malheureusement, ne donne pas forcément le résultat escompté.
Entre les deux tours de l'élection présidentielle  de 1988, sur l'Île d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, des troupes  militaires françaises donnèrent l'assaut, après la prise d'otages par  des indépendantistes Kanaks de neuf gendarmes mobiles. Tiré de ce fait  réel et adapté en partie de La Morale et l'action de Philippe Legorjus, capitaine du GIGN au moment des faits et interprété par Kassovitz lui-même, L'Ordre et la morale  se veut une retranscription minutieuse de cette tragédie, tout en  cernant les enjeux politiques (bras de fer entre la Droite de Chirac et  la Gauche de Mitterrand) et spirituels (Les Kanaks, leur soif  d'indépendance, la tolérance sous toutes ses formes). Ainsi, Kassovitz  se refuse à prendre parti, et navigue avec force travellings entre les  destins de ses personnages, leurs doutes et surtout leur impuissance à  trouver des solutions (Legorjus et Dianou, chef des indépendantistes,  sont ouverts au dialogue mais l'intérêt personnel de leurs supérieurs  sera le véritable déclencheur du massacre).
 Kassovitz a toujours filmé une incompréhension. En véritable sismographe  de l'actualité, il place constamment la barre (très) haute en se  réappropriant les travers de sa société. Quand il filme La Haine ou Assassin(s), il met ostensiblement  en cause la pertinence de sa propre démarche. Cette autoflagellation  thérapeutique est risquée car elle peut donner des œuvres claustrophobes  où le spectateur aura l'impression d'être enfermé malgré lui dans une  bulle politisée. La plupart des séquences sont là pour souligner que  cette entreprise de survie était vouée à l'échec. Ainsi en est-il de ces  images où les protagonistes, plus des silhouettes que des êtres de  chair et de sang, clament des dialogues téléguidés ("Que cherchent-ils ?" questionne un haut-gradé, "Leur indépendance" répond laconiquement Legorgus).
 Dans L'Ordre et la morale, les plans de Kassovitz sont très  souvent lourds (de sens), redondants (une musicalité empirique) et  n'offrent aucune respiration - d'où une impression désagréable pour le  spectateur d'avoir été pris à parti et finalement pointé du doigt. Ce  trop-plein est renforcé par un scénario en dents de scie, Kassovitz  trouvant ses marques en ne filmant que des rebondissements. Les pauses  narratives, le temps qui passe, les respirations, les lignes claires et  l'horizontalité du quotidien ne l'intéressent pas. Kassovitz ne se  limite pas à l'enregistrement du réel, il le choque, le bouscule et le  vampirise.
 Kassovitz s'est toujours dérobé sous des effets artificiels, au  détriment de la forme réflective. Ses films, véritables cris de colère  et coups de poing visuels, génèrent (trop) souvent un discours politique  édifiant où le moindre dialogue sonnerait comme un couperet. Cela n'a  pas empêché La Haine en 1995 puis, deux ans plus tard, Assassin(s),  de faire du bruit et marquer le paysage cinématographique français.  Sujets tabous (la condition précaire des Français des Cités, la  vulgarisation de la violence à travers les médias), cadrages soignés et  direction d'acteurs irréprochable ne suffisent pas à en démystifier  l'aura. Il y a certes beaucoup d'amour dans son filmage, qu'on retrouve  par exemple dans cette séquence où l'un des rescapés raconte avec  beaucoup de minutie à Legorgus le déclenchement de la prise d'otages. À  cet instant, Kassovitz, par le biais d'un travelling à 360°, montre  cette attaque en direct tout en conservant Legorgus et le rescapé dans  le même plan. Le présent observe le passé de telle façon que Kassovitz  semble nous dire que la confrontation des corps et de l'esprit était  inévitable. Mais il est dommage que la vacuité de sa forme soit devenue  le sacerdoce des échecs artistiques de Kassovitz. L'Ordre et la morale ne déroge pas à la règle.   Samir Ardjoum
Vacuité de sa forme?  J'attends de voir le film pour pouvoir me faire ma propre opinion.
Ce sera , n'en doutons pas, un film de qualité.
christian cazals